N° 63 – juillet 2023
Sommaire
- Editorial
- Chronique des sites internet. Maisons de Strasbourg : étude historique sur les maisons de Strasbourg entre le XVIe et le XXe siècle
- Quelques lectures. « Le creuset bouillonnant du Présent »
- Quelques lectures. Les ruines fantastiques de Georges Bischoff
- D'innombrables dons aux musées de Strasbourg
Editorial
Bien chers amis,
Au mitan de l’année 2023, quelques nouvelles des activités de notre Société.
Notre assemblée générale s’est tenue à Sélestat au mois de mars dans les locaux du Centre de Conservation et d'Étude (CCE) et en même temps le siège d’Archéologie Alsace. Nous y avons été accueillis par Matthieu Fuchs, directeur général d’Archéologie Alsace. Un peu moins d’une trentaine de personnes y ont assisté. À l’issue de l’assemblée statutaire, nous avons pu voir les locaux de travail du Centre. Les visiteurs ont été particulièrement impressionnés par le laboratoire de restauration des objets, avec par exemple des verres mérovingiens en cours de remontage.
Nous avons également organisé trois sorties, toutes très suivies. Pour l’exposition des "Vikings aux Normands", à Manheim, le car était plein. Nous y avons découvert ou redécouvert les richesses artistiques et matérielles d’une civilisation trop souvent perçue comme seulement violente mais qui, de fait, a créé des liens entre les pays du nord et l’espace méditerranéen et contribué à forger l‘identité européenne. À Katzenthal, nous avons été très bien accueillis par l’association du château du Wineck, qui entretient et valorise le site dont notre Société est propriétaire. Le groupe a particulièrement apprécié le mobilier archéologique issu des fouilles, qui y est exposé au cours de la saison estivale. À Mulhouse, enfin, Pierre Fluck et d’autres membres de "Mémoire mulhousienne" nous ont fait cheminer au travers des joyaux architecturaux et paysagers du Rebberg, un patrimoine menacé par la spéculation immobilière, ainsi qu’il a déjà évoqué dans notre précédente "Lettre d'information". L’association vient d’ailleurs de diffuser une pétition pour sauver une des villas et son parc qui fait l’objet d’un permis de démolition (texte et lien sur notre site internet).
Notre cycle de conférences, dans l’auditorium des musées de Strasbourg, a également été très suivi, le public étant à nouveau au rendez-vous après l’étiage dû à la pandémie du Covid.
Pour le cycle à venir, le programme est en cours de finalisation; vous le découvrirez avec notre flyer au début de l’automne.
D’ici là, je vous souhaite un bel été.
J.-Jacques Schwien

Chronique des sites internet. Maisons de Strasbourg : étude historique sur les maisons de Strasbourg entre le XVIe et le XXe siècle
Les habitués des Archives de la Ville ou départementales de Strasbourg ont certainement rencontré l’auteur de ce site indispensable aux chercheurs et amateurs d’histoire et d’architecture de Strasbourg. Jean-Michel Wendling a entamé une sorte de « quête du Graal » en référençant sur son site les maisons de Strasbourg à travers leur histoire, du XVIIe au XXe siècles. Il parcourt inlassablement les archives notariales, de la Chancellerie, les protocoles des Bauherren, la Police du Bâtiment ou les registres des Tribus... Il y traque la moindre information concernant la maison, leurs habitants successifs ou l’architecte. Depuis 2008 il met à la disposition de tout à chacun le fruit de ses recherches sur son site « les maisons de Strasbourg ». L’originalité de son site est de présenter des entrées par l’adresse actuelle des maisons pour que le chercheur puisse s’y retrouver facilement.
Le plan du site se subdivise en six thématiques : l’histoire qui donne des commentaires sur les sources utilisées, les personnages administratifs (les notaires, les tribus, les consuls et les maires…), trois onglets répartissant les maisons de la vieille ville, celles de la Neustadt et des faubourgs, les plans et les cadastres, plusieurs articles généraux.
Chaque notice de maison retrace l’histoire de la maison à travers une masse importante d’archives, croisant les documents administratifs, les cadastres, les archives qui concernent le domaine privé (actes notariés, registres paroissiaux, livres de bourgeoisie). Elle se compose d’un résumé de l’histoire du bâtiment, de la liste des propriétaires successifs puis d’un relevé des différents types d’archives consultées. Des extraits de documents sont ensuite insérés dans la langue originale (l’allemand gothique) et traduits en français. L’étude des maisons ne serait rien sans l’association d’illustrations issues pour la plupart de la Police du Bâtiment et de photos actuelles de l’auteur si l’édifice existe toujours. Si la navigation thématique ne vous convient pas, un moteur de recherche interne facilite la consultation des notices.
Au fil des années, l’auteur a étoffé son site en réalisant des synthèses sur l’histoire générale des rues ou des sujets thématiques comme les auberges en 1637, les maisons à l’architecture caractéristique du XVIIIe siècle. Il fait œuvre pédagogique avec son Atelier des Maisons de Strasbourg où il détaille la démarche de dépouillement des archives à travers un exemple de maison.
Le dépouillement systématique d’archives aussi variées et ardues d’accès, les notices publiées par rues et maisons font de ce site un outil incontournable pour les chercheurs et les amateurs éclairés de l’histoire de Strasbourg.
Laissons le mot de la fin à son auteur :
« Le voyage à travers les documents est une invite non seulement à regarder les rues et les bâtiments qui nous entourent mais aussi à les doubler d’un passé et à comprendre comment l’architecture que nous voyons s’est constituée au fil du temps […] Puissent les quelques aspects présentés ici exercer le regard et rendre au tissu urbain une complexité qui pourrait passer inaperçue. »
https://maisons-de-strasbourg.fr.nf/
Véronique Umbrecht

Quelques lectures. « Le creuset bouillonnant du Présent »
CARPENTIER, Vincent. Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale.Paris : Éditions La Découverte, 2022. 367 p., 24 €.
L’archéologie du passé récent a pris place, depuis une vingtaine d’années, dans le large éventail chronologique exploré par l’archéologie. Archéologue à l’Institut national de recherches archéologiques préventives, Vincent Carpentier est l’un des premiers chercheurs français à s’être intéressé aux nombreux vestiges laissés par les grands conflits européens et, plus particulièrement, par la Seconde Guerre mondiale. Il propose ici une synthèse inédite de ses recherches et de ses réflexions.
C’est en 2014 que la thématique entre dans la programmation nationale de la recherche en France, sous les auspices d’Aurélie Filipetti, alors ministre de la Culture. Le contexte de commémoration de la Grande Guerre a constitué un terreau favorable et les premiers travaux concernent surtout les champs de bataille du front occidental. Malgré parfois de vives polémiques au début de ces recherches, le développement de l’archéologie préventive amène peu à peu une réflexion spécifique autour de ces sujets avec l’émergence de thématiques nouvelles : vie quotidienne des combattants, gestion de la mort de masse, travaux de fortification… La mise en valeur des vestiges et leur protection, en relation avec l’essor d’un « tourisme de mémoire », prend, en parallèle, une dimension croissante.
L’ouvrage de V. Charpentier se place dans la droite lignée de ces premiers travaux, en se concentrant cette fois-ci sur les vestiges nombreux laissés par la Seconde Guerre mondiale. L’intérêt majeur de son étude réside dans le vaste domaine géographique et thématique abordé dans cette histoire matérielle et anthropologique de la guerre : du Mur de l’Atlantique aux camps d’internement, de la Grande-Bretagne à la Guerre du Pacifique, des nécropoles militaires aux épaves sous-marines, sans oublier les lieux de crimes de masse et les camps de concentrations présents dans divers pays d’Europe ou d’Asie.
Les sites sont replacés dans leur contexte général, mettant en lumière les liens qui unissent le réseau des fortifications – tels les 5000 km des fortifications côtières de la Finlande à l’Espagne, ou celles du « Südwall » ou du « Vallo alpino » – avec les structures plus méconnues des sites logistiques d’artillerie, bases de sous-marins ou aérodromes auxquels ils sont intimement liés. V. Carpentier aborde également les vestiges de la défense passive, rappelant au passage les recherches menées sur le réseau de bunkers berlinois par les archéologues allemands dès 1990, les fouilles de sites de crashs de bombardiers qui se multiplient après 1943, ou les explorations de grottes ou de carrières qui ont servi de refuge aux populations lors des combats qui ont suivi le Débarquement, par exemple à Fleury-sur-Orne, près de Caen.
Si les sites de bataille ne livrent parfois que des témoins fugaces et fragiles, où le déroulement des événements historiques échappe à l’archéologie, l’apport des archives et des documents photographiques vient fournir son témoignage, complété parfois par les récits des combattants ou des témoins survivants, ce qui fait l’originalité de cette nouvelle facette de la discipline archéologique. La place de l’archéologie dans le domaine de l’identification des corps et des causes du décès a confirmé, par ailleurs, l’importance du croisement des disciplines entre médecine légale, archéologie et anthropologie, en particulier sur les sites liés à des crimes de masse, où se manifestent des formes polymorphes de violence. Les lieux d’internement ont fait, eux aussi, l’objet de recherches nouvelles, qu’il s’agisse de camps de concentration, de lieux d’internement de soldats ou de civils, et leurs vestiges souvent abandonnés et oubliés ont fait resurgir des traces matérielles nombreuses dans toute l’Europe.
C’est ainsi que l’archéologue devient également « passeur de mémoire », face à la disparition des derniers témoins directs des événements, pour continuer à transmettre cette histoire (déjà plus si récente) aux générations futures. Les vestiges matériels mis au jour et leur étude scientifique minutieuse peuvent aussi constituer une aide précieuse pour faire face au négationnisme rampant et aux innombrables fausses informations qui se répandent via de nombreux sites internet.
Les atteintes inexorables du temps sur des vestiges fragiles et souvent tombés dans l’oubli, voués à la destruction par des travaux d’aménagement ou de construction qui les rattrapent peu à peu, rappellent l’urgence à recenser et documenter ces vestiges et à les étudier avec les méthodes rigoureuses de l’archéologie préventive et avec l’aide d’équipes pluridisciplinaires.
L’impact touristique n’est pas non plus à dédaigner pour les vestiges qu’il est possible de protéger et de présenter au public. La visite de sites historiques constitue une importante facette de l’économie touristique de la France et l’intérêt des visiteurs français ou étrangers pour le riche patrimoine de la France – y compris celui du XXe siècle – n’est plus à démontrer. Les résultats des études archéologiques et le mobilier mis au jour peuvent alors trouver tout naturellement leur place dans les projets d’aménagement de sites et de musées.
Bernadette Schnitzler

Quelques lectures. Les ruines fantastiques de Georges Bischoff
BISCHOFF, Georges. Les ruines fantastiques. Histoire, mémoire et imaginaire des châteaux d'Alsace. La Nuée Bleue, 2022
299 p., 27 €.
Depuis plusieurs années, notre ami Georges Bischoff nous offre à intervalles réguliers des ouvrages qui revisitent l’histoire de l’Alsace sous un mode toujours savant et parfois malicieux. Dans cette même veine, il vient de s’attaquer aussi aux châteaux forts de la région.
Ayant beaucoup travaillé sur la noblesse médiévale, leurs résidences l’ont évidemment intéressé au premier chef. Et dans ce livre, de nombreuses pages reviennent sur divers articles dont il nous avait déjà délectés. Mais ceux qui ont suivi ses cours, entendu ses conférences ou tout simplement pu bavarder avec lui dans des Stammtisch improvisés y retrouveront sa gouaille habituelle où le réel de la société médiévale se mêle intimement aux histoires fantastiques qui l’ont travesti.
Le plan même de l’ouvrage est à l'image de cet imaginaire. Il se compose de 36 chapitres sans queue ni tête. Une bonne part des châteaux alsaciens y ont leur notice, mais leur arrivée sur scène ne suit aucunement la géographie régionale ou seigneuriale. De même, toutes les époques, des origines à nos jours, y sont conviées mais sans le fil rouge chronologique habituel des historiens. Enfin, toutes les ressources primaires qu’on apprend à hiérarchiser à nos étudiants y sont mises souvent en même temps à contribution, des textes à l’archéologie, des gravures à la bande dessinée, des légendes aux jeux de société.
Mais alors, en face de cette profusion, qu’y apprend-t-on ? On pourrait dire que comme nos restaurateurs et pâtissiers revisitent aujourd’hui la choucroute ou la Forêt-Noire, Georges Bischoff a composé un menu où chaque plat est original mais en nous rappelant des choses, le tout avec un sauce épicée de mots et expressions d’aujourd'hui dont il a le secret.
Quelques exemples picorés çà et là, selon notre propre goût.
Le Stettenberg et la vie de château. Au début du XVe siècle a lieu un procès pour déterminer les propriétaires de ce site ruiné. La déposition d’une vieille dame nous apprend que quelques décennies auparavant, le châtelain avait dû quitter le lieu, sous la pression de sa femme, qui voulait profiter de la vie sociale urbaine, en l’occurrence à Rouffach. Quand on sait que les deux lieux sont distants de 5 kilomètres seulement, on imagine l’ennui que pouvaient ressentir filles et épouses de seigneurs dans les châteaux encore plus isolés. Aux méfaits des guerres et de l’évolution des armes à feu comme raisons de la ruinification des châteaux, on peut donc ajouter l’attirance du mode de vie urbain.
Le Landsberg et les ruines comme réserves de plantes exotiques. Beaucoup de prospections ont été menées autour de nos ruines pour essayer de trouver des plantes orientales apportées par les croisés. Pour l’instant, semble-t-il, la moisson est nulle. Sauf pour la basse-cour du Landsberg où fleurit chaque année une nuée d’éranthes ou hellébores d’hiver, une cousine du bouton d'or. Cette station est unique en Alsace, la plante poussant à l’état naturel dans l’Appenin et en Asie mineure. On pourrait arguer de la qualité intrinsèque du lieu, construit par des chevaliers de renom à proximité de l’abbaye de sainte Odile pour déterminer une haute origine de cette plante rare. Mais selon les sources botanistes, ce sont les Wurtemberg et les Ribeaupierre qui ont joué un rôle majeur dans l’arrivée dans la région de plantes méditerranéennes à la fin du XVIe siècle, les plus anciennes mentions de l’érenthe dans des jardins botaniques remontant au XVIIIe siècle. Le lien avec le château du Landsberg n’est pas assuré, mais pas impossible.
Ottrott et le château comme acteur d’une bande dessinée. Tout le monde connait Jacques Martin, bédéiste d’origine alsacienne, et l’une de ses productions majeures, "La grande menace". L’histoire se passe vers 1950 avec un savant fou, Axel Borg, qui menace de détruire Paris avec une machine diabolique, si l’État français ne verse pas une énorme rançon. L’enquête menée le reporter Lefranc passe par le Haut-Koenigsbourg, les archives départementales et surtout le donjon d’Ottrott, alias la Tour noire, le lieu dont les tréfonds cachent la fusée maléfique. Ces péripéties réactualisent les thématiques des contes et légendes recueillies au XIXe siècle, leur ajoutant l’image, en parallèle au cinéma.
Ortenberg et la reconversion des ruines. La Révolution française qui a supprimé le monde féodal a paradoxalement aussi, comme on sait, fait du château un lieu de mémoire. Quelques sites ont été reconstitués, comme Pierrefonds ou le Haut-Koenigsbourg. Mais l’action de certaines associations comme la SCMHA ou le Club Vosgien ont transformé la plupart des autres en un bien commun, accessible à tous, indépendamment de leur statut juridique. Dans ce cadre, un projet initié par le service régional des Monuments historiques en 1989, visant à transformer cinq sites vosgiens - dont le plus emblématique était l'Ortenberg - en hôtels de luxe pour en diminuer les charges d’entretien tout en impulsant une nouvelle politique de mise en valeur, a été battu en brèche par une levée de bouclier des "usagers". La contestation portait avant sur la privatisation de ces ruines, disposées le long des chemins de randonnée parcourus par plusieurs générations de touristes du dimanche. Le projet a été abandonné, assurant la victoire à l’imaginaire des châteaux, constitué par étapes depuis le Moyen Âge.
Au bout du compte, l’ouvrage de Georges Bischoff est une sorte de guide renouvelé de l’histoire des châteaux, complétant les contes et légendes d’antan, mais appuyé sur des vraies sources d’époque, tant pour les événements que pour la construction de notre imaginaire. Il est conçu de telle sorte qu’on peut l’emporter avec soi lors de nos visites, pour en lire à haute voix les extraits consacrés à chaque site, selon la pratique éprouvée de G. Bischoff lui-même.
J.-Jacques Schwien


D'innombrables dons aux musées de Strasbourg
La SCMHA est – ce que l’on oublie trop souvent – une grande donatrice des musées de Strasbourg. Toutes ses collections archéologiques, historiques et artistiques ont en effet fait l’objet d’une très importante donation en 1947. Cette date constitue aussi l’acte officiel de naissance de l’actuel musée archéologique de Strasbourg grâce à son classement par l’État.
Pour rappeler et rendre plus visible cette donation, une nouvelle rubrique est proposée dans la Lettre d’information pour présenter la diversité des œuvres, parfois surprenantes, issues de cette donation.
Le pyrophone d’Eugène Kastner
Inv. SCMHA n° 1019
Ce curieux instrument de musique, qui ressemble un peu à un orgue, a été créé par Georges Frédéric Eugène Kastner en 1875. Il comporte un ensemble de 25 tuyaux en verre, de différentes longueurs, mis en vibration à l’aide d’une flamme de gaz. Bien que quelques œuvres aient été composées pour cet instrument, il n’a pas connu le succès escompté par son inventeur.
Ce pyrophone est entré dans les collections de la Société en 1888 par un don de la mère de l’inventeur, Mme Léonie Kastner-Boursault. Cette œuvre se trouve actuellement dans les collections du Musée historique de Strasbourg.
Bernadette Schnitzler
