Acteurs du patrimoine

Higelin Mathias

Propos reccueillis par Jean-Jacques Schwien

Les "Portraits" que nous présentons depuis un certain temps dans cette "Lettre d'information" avaient jusqu'à présent concerné des figures emblématiques de la mise en place de problématiques et en même temps de démarches et d'institutions dans le domaine du patrimoine à partir de la fin des années 1960, en liaison avec le développement du Ministère de la Culture. ll y a encore beaucoup de portraits à faire de ces "Grands anciens". Mais nous voulions aussi depuis un moment les ouvrir à des chercheurs plus jeunes, de sorte à découvrir des parcours issus des modifications importantes réalisées ces dernières années, telles celle de la professionnalisation de l'archéologie préventive. Mathias Higelin nous fait le plaisir d'avoir accepté de jouer ce jeu. Je le connais moi-même depuis un certain temps, l'ayant eu comme étudiant, à l'époque encore du Deug, avec des notes d'ailleurs pas aussi mauvaises que le souvenir qu'il en a ! Mais je dois avouer que j'ai découvert au cours de cette interview un parcours très éclectique, finalement assez proche des archéologues des années 1970-1980, issus si je puis dire de la société civile, avec une première vie professionnelle avant de se lancer par passion dans le domaine de l'archéologie. Mais il appartient aussi à la génération actuelle par le biais d'une formation académique, Université puis EPHE, qui lui a apporté un savoir et une démarche plus théoriques. Ce double cursus lui est d'ailleurs bien bénéfique, comme il l'a souvent été pour les "Grands anciens", puisqu'il lui permet de mettre en œuvre son savoir technique au profit de l'objet archéologique. Et les résultats sont là, puisque 10 ans à peine après son changement de cap, il vient de publier son premier et bel ouvrage.

Comment est né votre intérêt pour les choses du passé ?

On ne peut pas vraiment dire que j’ai suivi un parcours tout tracé, loin de là ! Je suis né à Kientzheim, dans le Haut-Rhin. Mon grand-père y était viticulteur, ma mère travaillait dans le domaine social et mon père aux PTT. Comme mes sœurs, j’ai effectué ma scolarité à l’école Steiner de Colmar, un choix pédagogique qui a profondément marqué mon parcours personnel. J’ai en effet dès le plus jeune âge développé un goût prononcé pour le travail manuel et une certaine approche artistique.

Mon parcours a ensuite été plutôt sinueux. Assez touche-à-tout, j’ai fait pas mal de petits boulots. Un Bac Pro en maintenance mécanique d’abord, suivi d’un emploi dans l’industrie automobile chez Mahle-Pistons à Colmar. Passionnant sur le plan technique, je ne me suis pour autant pas épanoui dans ce milieu socio-professionnel. Jouant de la musique depuis plusieurs années, j’ai un temps également pensé devenir DJ. J’ai participé à la création d’une association dans le val d’Orbey et organisé des concerts et des spectacles, à la piscine de Kaysersberg ou en partenariat avec les Restos du cœur par exemple. J’ai aussi au l’occasion de travailler comme régisseur son et nourri l’espoir de devenir intermittent du spectacle. Hésitant dans ma vocation, j’ai à nouveau travaillé comme serrurier-métallier pour la construction de charpentes métalliques dans une entreprise de Volgelsheim.

Resté insatisfait de ces expériences et dans l’intention de me construire sur le plan personnel, j’ai finalement décidé d’entamer une reconversion et renoué avec mes premiers centres d’intérêt. Je me suis alors décidé en 2005 à pousser la porte de la faculté des sciences historiques de Strasbourg pour une licence en histoire de l’art. J’ai alors découvert l’archéologie…

Quels ont été vos premiers pas dans le domaine du patrimoine ?

J’ai profité des facilités de financement de reconversion professionnelle pour m’investir pleinement dans ce domaine. D’emblée, la passion m’a habité, me faisant passer tout mon temps libre à la bibliothèque. Ma formation initiale de technicien, toutefois, ne m’ayant pas permis d’être un as de l’expression écrite, mes examens de première année ont été catastrophiques !

Par chance, j’ai rencontré beaucoup de bonnes âmes dans ce parcours, qui m’ont aidé à divers titres. Delphine Souan, en premier lieu, a consacré du temps à améliorer mon expression française. Maxime Werlé m’a épaulé pour découvrir le milieu des professionnels de l’archéologie, débouchant sur un premier contrat sur le site d’Entzheim, dirigé par Michaël Landolt. Ce dernier, par la suite, m’a confié de nombreuses missions, en particulier d’études de mobilier. Entre ces petits contrats et stages, mon quotidien a heureusement pu être amélioré par un emploi à temps partiel d’agent d’entretien au FEC, profitant de ce point de vue de ma formation initiale de technicien.

J’ai pu finalement assez rapidement décrocher ma seconde année de licence, au moment où le PAIR (Pôle d’archéologie interdépartemental rhénan, aujourd'hui Archéologie Alsace) était en restructuration. Une rencontre très conviviale avec Matthieu Fuchs, son directeur, a débouché en 2008 sur l’établissement d’un contrat de plus longue durée.

Qu’avez-vous fait ensuite ?

À partir de ce moment-là, j’ai enchainé de nombreux chantiers. J’ai un très bon souvenir de ma première opération en tant qu’archéologue-technicien, sous la direction de Pascal Flotté, au Kreutzfeld à Horbourg-Wihr. Les vestiges n’y étaient alors pas faciles à appréhender mais néanmoins d’une grande richesse, cette fouille a constitué un véritable laboratoire pour l’équipe.

Ensuite j’ai notamment été amené à travailler sur l’importante collection de mobilier archéologique issue de ce site, une première étude dans laquelle je m’étais beaucoup investi. Dans ce cadre, j’ai fait la rencontre de Jean-Paul Guillaumet, directeur de recherches au CNRS, spécialiste du métal d’époque gauloise qui m’a lui-même présenté à Michel Reddé, dans l’idée d’engager un mémoire à l’École Pratique des Hautes Études où il assurait l’enseignement de l’archéologie romaine. Cette proposition était bienvenue, puisque je m’étais arrêté en seconde année de licence et que l’EPHE a aussi pour mission de former des chercheurs issus d’un parcours universitaire incomplet. Mon mémoire, dont l’élaboration a duré cinq ans en parallèle à mon emploi, a porté sur l’analyse du mobilier métallique antique gallo-romain du chantier du Kreutzfeld.

Ces contacts, je dois dire, ont eu une grande importance dans mon développement intellectuel personnel. Entretemps, en 2012, j’ai pu participer à la seconde phase de fouilles du site du Kreuzfeld, ce qui fait qu’après ma soutenance en 2015 a émergé l’idée d’une publication de l’ensemble du mobilier découvert. Soutenu par une aide financière à la préparation de publications du Ministère de la Culture, j’ai pu préparer un manuscrit dont le volume est paru il y a peu, aux Éditions Mergoil, en mai 2019, dans la série des monographies MonographiesInstrumentum.

Je me suis ainsi spécialisé un peu de par ma formation initiale de technicien-métallurgiste mais aussi par le hasard des rencontres dans le domaine du mobilier métallique. Au sein d’Archéologie Alsace, cette expertise m’a aussi amené à participer activement à l’évolution des pratiques concernant l’étude du mobilier dans le cadre préventif. Si ces vestiges étaient peu considérés il y a quelques années, un temps d’étude est systématiquement prévu aujourd’hui dans les post-fouilles. Rencontrant de nombreux chercheurs spécialisés dans ce type d’étude et me tissant d’années en années un réseau de contact, j’ai intégré l’association Corpus (étude du mobilier métallique et de l’instrumentum) dès les premières rencontres en 2010.

J’ai depuis eu l’opportunité d’en co-organiser la dernière rencontre en mars 2018 à la Misha à Strasbourg, rassemblant plus de cent-vingt spécialistes et restaurateurs européens, ainsi que des conservateurs et des étudiants de la région.. Mes premières armes en tant que responsable, je les ai faites pour des diagnostics à Horbourg-Wihr, en périphérie de Colmar, profitant notamment d’une bonne connaissance en ayant établi la carte archéologique de cette importante agglomération antique dans le cadre de mon mémoire. C’est aussi en côtoyant Maxime Werlé que j’ai développé un intérêt plus marqué pour la complexité du fait urbain. En 2018, j’ai eu l’occasion d’une première responsabilité de fouilles en responsabilité, dans le faubourg de Koenigshoffen à Strasbourg, suivie d’une autre plus importante en 2019 sur le même axe routier, où est apparue notamment une nouvelle nécropole romaine avec d'exceptionnels bûchers funéraires.

Quel regard général portez-vous sur votre place dans la valorisation du patrimoine ?

Les nombreuses études de mobilier menées dans le cadre du préventif m’ont amené à participer à plusieurs projets de recherche mais également de valorisation. Ces diverses expériences m’ont notamment permis d’acquérir une bonne connaissance des collections romaines régionales, pour lesquelles je développerais volontiers de nouvelles études, consacrées à la production d’objets en bronze à Koenigshoffen et à Brumath par exemple.

Parallèlement, je souhaiterais continuer à prendre des responsabilités de fouilles en contexte urbain, notamment à Strasbourg où les vestiges et les avancées de la recherche sont particulièrement stimulants. Depuis la fouille de ce printemps à Koenigshoffen, une autre idée fait son chemin ; celle d’un projet de fouille programmée dans ce secteur. À l’ouest du vicus par exemple, il existe un important mausolée circulaire, en partie fouillé par E. Kern et F. Latron et dont le plan rappelle le modèle impérial, celui d’Auguste, un édifice particulièrement remarquable qui mériterait des investigations complémentaires…

Mathias Higelin



Mathias Higelin



1983: un passionné en culottes courtes mettant déjà la main à la pâte



2011 : Sondage en contexte urbain à Colmar