Acteurs du patrimoine

Waton Marie-Dominique

Propos reccueillis par Maxime Werlé

Marie-Dominique Waton est ingénieur d’études au Service régional de l’archéologie (Direction régionale des affaires culturelles d’Alsace). Connue bien au-delà du cercle des chercheurs et de ses collègues, elle est depuis trente ans une figure incontournable du paysage archéologique régional. Son fort caractère n’a laissé personne indifférent, ni ses collègues du SRA et de la DRAC, ni les chercheurs, ni les acteurs de l’aménagement du territoire qu’elle a été amenée à côtoyer. Elle est l’auteur de dizaines d’articles et d’ouvrages sur l’archéologie régionale, consacrés à ses périodes de prédilection (l’Antiquité, le Moyen Âge et l’époque moderne) et à des thématiques fort diverses : citons par exemple l’occupation militaire et civile de Strasbourg Argentorate, les dépôts monétaires antiques, les nécropoles antiques et alto-médiévales de Strasbourg et de Wasselonne, les enceintes médiévales et modernes de Strasbourg, l’archéologie religieuse et funéraire, les aménagements de berge, l’habitat, les latrines et les puits, le verre et la céramique, etc. Elle a également contribué activement, avec Juliette Baudoux, Pascal Flotté et Matthieu Fuchs, au volume de la Carte archéologique de la Gaule consacré à Strasbourg, paru en 2002. Elle a été, à son poste, l’une des chevilles ouvrières des balbutiements, puis des développements de l’archéologie dite « préventive » (celle qui consiste à fouiller les sites amenés à être détruits par l’aménagement du territoire) en Alsace, et l’un des acteurs incontournables de l’archéologie urbaine à Strasbourg.
Elle a notamment assuré la prescription et le suivi de grands chantiers de fouille, comme ceux du tramway, de parkings souterrains, de nouvelles constructions, etc.

Pour ces raisons, elle a été nommée officier de l’Ordre des Arts et des Lettres le 14 juillet 2013, en reconnaissance de l’ensemble de ses travaux en faveur de la connaissance et de la préservation du patrimoine archéologique régional. Elle prendra sa retraite, qu’on lui souhaite par avance active et fructueuse, au cours de l’été 2016.

D'où vous vient votre passion pour l’archéologie ?

Mon intérêt pour l’archéologie est assez tardif : lorsque j’avais 18 ans, je suis allée en Grèce et j’ai visité Cnossos. Le site m’a tellement impressionnée que j’en suis devenue guide. La passion de l’Antiquité et de l’archéologie ne m’a ensuite plus quittée.
C’était l’année du baccalauréat, j’étais en bac C (Mathématiques et Sciences physiques), et je faisais du grec et du latin. Comme j’étais mauvaise en physique-chimie, mon père m’a réorientée : je suis allée au lycée Fénelon à Paris, en classe préparatoire hypokhâgne.
Il faut dire que, originaire de Ham, une ville de 6000 habitants dans la Somme (Picardie), je refusais de poursuivre mes études supérieures à Amiens : je n’aimais pas les briques rouges.
Après cela, je me suis orientée vers les études de Lettres classiques à l’Université. De fil en aiguille, je suis venue à Strasbourg, j’ai obtenu une bourse de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST) pour faire ma thèse de 3e cycle. Mon doctorat en Sciences de l’Antiquité, soutenu en 1979, a porté sur les légendes d’enlèvement dans la mythologie, dans l’iconographie et dans les textes grecs.

Quel a été votre parcours de formation ?

J’ai commencé à m’orienter vers une carrière d’archéologue assez tard, vers l’âge de 28 ans : Gérard Siebert, qui avait dirigé ma thèse, m’a trouvé des stages de terrain auprès d’Edmond Frézouls (1925-1995), directeur de la circonscription des Antiquités historiques en Champagne Ardenne, et d’Olivier Buchsenschutz, alors attaché de recherche au CNRS.

E. Frézouls m’a ensuite engagée comme vacataire pour la circonscription et, pour le compte du CNRS, pour rédiger les résumés en anglais des articles destinés au Bulletin analytique d’histoire romaine.

Puis, en 1982/1983, il y a eu une vague de titularisation dans les circonscriptions des Antiquités historiques.
En 1983, on m’a dit, au téléphone : « c’est la Lorraine, c’est à prendre ou à laisser ».
J’ai répondu : « oui, mais à condition que je sois prioritaire sitôt qu’un poste se libérera en Alsace ».
Gilles, mon mari, et ma petite fille Salomé vivaient alors à Strasbourg.
J’ai travaillé en Lorraine jusqu’en 1985.
Là, lorsque Michel Colardelle [connu pour avoir codirigé les célèbres fouilles du lac de Paladru] était directeur des Antiquités historiques, j’ai mené la première fouille archéologique urbaine de Metz (Pontiffroy), avec dans l’équipe presque toutes les personnes qui ont ensuite intégré l’actuel Service régional de l’archéologie, et quelques unes qui travaillent aujourd’hui encore à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).

Décrivez brièvement votre parcours professionnel

En arrivant en 1985 en Alsace, François Pétry était directeur des Antiquités historiques.
À Strasbourg, j’ai immédiatement été chargée de la première fouille archéologique urbaine d’ampleur, entièrement financée parles aménageurs, qui était Istra [15 rue des Juifs, 1985-1987].

J’ai ensuite dirigé d’autres fouilles importantes, comme celles de Saint-Thomas [1988-1989], de l’ÉNA et du Musée d’Art Moderne et Contemporain [1990-1993], ou encore de la rue des Veaux [1997].

Avec l’appui de François Pétry, qui était très fortement soucieux de la défense du patrimoine, il a été possible de développer l’archéologie du bâti, en particulier avec les chantiers d’Istra et de la droguerie du Serpent [17 rue des Hallebardes, 1996-1998], et au travers d’un fond affecté par la CRMH au suivi, par Jacky Koch [alors archéologue à l’Afan, ancêtre de l’Inrap], des travaux sur les ruines des châteaux des Vosges. Il est regrettable que cela ait été ensuite volontairement stoppé net. Depuis peu, j’ai toutefois le sentiment que les informations circulent mieux au sein des services patrimoniaux de la DRAC (ATBF, CRMH et SRA).

Si, au début de ma carrière, je me considérais comme spécialiste de l’Antiquité gallo-romaine, je suis rapidement devenue, par la force des choses, également médiéviste et moderniste, ayant constamment été confrontée aux vestiges de ces périodes.
Avec le site d’Istra, j’ai découvert auprès de Jean Maire et de Jean-Pierre Rieb [des archéologues bénévoles] l’intérêt de l’étude de la vie matérielle et des vestiges mobiliers. Je me suis alors plongée dans l’étude de la verrerie médiévale.
J’ai aussi épaulé, en 1991, mon collègue Jean Sainty sur la fouille de la nécropole mérovingienne de Wasselonne, dont je n’ai pu mener la publication à terme qu’en 2005.

Que pensez-vous que votre action ou vos recherches apportent au patrimoine alsacien ?

C’est pour moi difficile à dire. À l’approche de la fin de ma carrière, je constate qu’on n’est pas toujours reconnu pour ce qu’on a fait.
Je regrette que quelques chercheurs aillent jusqu’à ignorer les travaux des autres, à faire comme s’ils n’existaient pas. Dans notre discipline, il est normal d’être remis en question, la recherche évoluant sans cesse, mais c’est quelque fois difficile à vivre de se sentir déconsidérée et mise à l’écart.

Malgré tout, j’ai l’impression que certaines de mes études, comme celle sur le verre, ou celle sur la céramique des XVIIe/XVIIIe siècles, continuent d’avoir leur utilité et de faire référence.


Dans mon poste, je ne suis pas régalienne à l’extrême, même si j’essaie de l’être autant que possible.

Par exemple, lorsqu’un particulier construit ou réaménage sa maison, il est inconcevable de lui imposer des délais et des coûts exorbitants, à moins que son permis de construire ne concerne une zone au potentiel archéologique réellement avéré.
Je suis assez sensible à cela. A contrario, je regrette que, parfois, la loi ne protège pas mieux des sites menacés par la construction d’immeubles collectifs.

Toutefois, s’il m’est arrivé d’avoir à gérer des destructions archéologiques inconsidérées, je crois qu’il est toujours possible, avec de la volonté, de trouver des solutions pour éviter des catastrophes patrimoniales.
Enfin, s’il y a encore des choses dont je me réjouis vraiment, c’est d’avoir parfois réussi à pousser de jeunes archéologues à trouver leur place dans le milieu des chercheurs alsaciens.

Marie-Dominique Waton