Acteurs du patrimoine

Loïc Guyader

Propos reccueillis par Bernadette Schnitzler et Jean-Jacques Schwien

Loïc Guyader a fait toute sa carrière au Haut-Koenigsbourg : entré dans l’équipe en 1981 pour y faire son service civil, il a été nommé responsable de l’Unité des guides en 2012 et est parti à la retraite en 2023. Il nous raconte son histoire dans ce lieu qui est en même temps celle de la transformation d’un monument. De mal aimé des Alsaciens en tant que château reconstruit à la gloire de Guillaume II, il est devenu le symbole très visité d’un site médiéval authentique. Impulsée par les divers responsables du site, cette transformation a été portée par l’équipe d’accueil, avec comme caractéristique la polyvalence. Il a fallu tout faire, s’informer sur l’histoire du site et se former au guidage en plusieurs langues, accueillir les publics de plus en plus divers, intégrer les mesures de sécurité, mais aussi nettoyer les locaux ou participer au conseil scientifique. Cet investissement de tous les jours de toute l’année pour agrémenter les loisirs et combler le désir de connaissances des visiteurs nous est rapporté avec l’enthousiasme qui caractérise Loïc Guyader, comme d’ailleurs tout le reste de l’équipe. Grâce à lui, après l’avoir grandement apprécié tout au long de ces années perché au sommet du Stauffenberg, nous avons désormais un beau "Portrait" d'une facette majeure des métiers du patrimoine, où s’entremêlent l’humain et le professionnel.

1-Dans quel cadre s’est faite ton arrivée au Haut-Koenigsbourg en 1981 ?

Je n’étais pas prédestiné à travailler dans le domaine de la culture, puisque j’avais fait tout d’abord des études de mécanique automobile. Cependant, l’intérêt pour l’architecture médiévale et les échanges humains m’interpellaient… et, en 1981, grâce à deux ans de service civil, j’ai fait une rencontre avec un lieu extraordinaire. Il s’agit du Haut-Koenigsbourg vous l’aurez deviné ! Une rencontre, aussi, avec une Alsace aux multiples facettes : linguistiques, confessionnelles, paysagères, culturelles, historiques… Cependant, un même attachement au terroir et à une manière de vivre… comme un petit air de Bretagne de mon Finistère natal, ou une ambiance d’un village gaulois célèbre. Mais cela a été aussi un choc entre la perception parfois négative qu’on avait alors encore de ce château et l’intérêt manifesté par des millions de visiteurs. À partir de cette constatation, je n’ai eu de cesse d’essayer de comprendre le hiatus entre cet engouement populaire et ces critiques parfois partisanes.

2-De là, ton intérêt pour le patrimoine et les questions qu’un monument amène à se poser ?

Dans ma perception de l’architecture, je pense que ces questions permettent d’interroger - et aussi de s’interroger - sur le passé pour tenter de comprendre le présent et préparer l’avenir. Créer des passerelles, des liens de compréhension entre le passé et le présent.
Par exemple, au-delà de la mise forme d’un espace, qu’est-ce qui a présidé à l’édification d’un bâtiment sur un site ? Quelle fonction avait-il ? A-t-elle évoluée ? Quelle a été la commande du maître d’ouvrage ? Quelles techniques et quels matériaux ont été mis en œuvre ? Novateurs, classiques, ordinaires, extraordinaires ? Une intention émotionnelle, spirituelle ou purement fonctionnelle a-elle été prégnante dans l’édification ? Ainsi le « ressenti » en entrant dans la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre ou dans une église cistercienne n’est évidemment pas le même. Les buts poursuivis étaient différents.

3-Quel était le quotidien au château à tes débuts ?

Assurer la sécurité des visiteurs et celle du monument et des collections par une présence sur le terrain permanente était à la base de notre mission. Mais mes deux ans de service civil ont consisté aussi à effectuer un peu d’entretien : époussetage des meubles (contribution à la conservation), balayage et nettoyage et propreté (essentiel à l’accueil), mais aussi l’accueil et le contrôle du droit d’entrée, ainsi que des visites guidées. Sans oublier le déblaiement des feuilles mortes, de la neige sur les chemins d’accès, parfois même l’entretien des chemins entre parking et château ! Avec bien peu de moyens alors : je me souviens que les premiers poussoirs à neige étaient de simples planches clouées sur des « manches travaillés dans des branches » par les anciens !

4-Quelle équipe as-tu trouvée lors de ton arrivée ?

Cette équipe se composait de Monsieur Delporte, un ancien adjudant-chef de la BA 124 d’Entzheim, comme régisseur et d’une équipe de guides avec un ancien bucheron, un ajusteur, un pâtissier (arrivé en 1947), un ferblantier… Six surveillants militaires au total – en uniforme des Palais nationaux –, qui ont été poussés et incités par leur administration à rendre attractif le monument en accompagnant les visiteurs. Une caissière et sa remplaçante complétaient cette petite équipe, sans oublier, en saison, un contrôleur et deux dames préposées à la propreté des toilettes publiques. Hormis leurs qualités et motivations personnelles, aucune formation ne leur était proposée, si ce n’est la mise à disposition, en 1962, à l’initiative d’un régisseur, de trois pages de dates allant de 774 la donation du Stauffenberg par Charlemagne, à 1919 classement du Haut-Koenigsbourg, ancienne propriété de Guillaume II, comme palais et domaine national. Un peu squelettique comme accompagnement quand on connait le cursus des « guides conférenciers » actuels. Mais ils ont assuré l’attractivité du Haut-Koenigsbourg pendant un certain temps en portant sur leurs seules épaules de multiples tâches.

5-Et pour toi ? Quelle formation ?

Le début fut difficile. L’accès aux informations était compliqué, depuis le haut de la montagne, dans cet univers d’autodidactes ! Il faut dire que, comme bon nombre de guides avant les années 1990, j’ai été propulsé « guide de monument » sans aucune préparation. La seule évaluation était à l’époque la satisfaction des publics ! Une bonne école, aussi !

Donc, les premières informations  en plus de celles transmises par les anciens collègues guides  proposées pour bâtir ma visite se trouvaient dans le seul livret existant alors et constamment réédité : celui de Hans Haug, vendu aux visiteurs. De précieuses informations, parfois pointues, qu’il a fallu adapter à des publics de tous horizons. On y trouvait aussi des prises de position : « Les subventions pour la reconstruction  anéantissement de la plus belle ruine que possédait l’Alsace  furent … ». Et concernant la restauration « … un château à peu près neuf représentatif de la conception (assez exacte d’ailleurs) qu’avait de la féodalité allemande un prince mégalomane du XXe siècle ». J’ai appris par la suite que la première édition de ce guide datait de 1922 ! Qui dit vrai ? Qui exagère ? Qui dit faux ? Ici, en Alsace peut-être plus qu’ailleurs, faut-il laisser le temps au temps ? Cependant, comme l’écrivait Georges Bischoff, pas trop de temps, quand même, pour éviter que le « silence et l’oubli » n’occupent cet espace.

6-Quels changements importants au fil des années ?

Outre l’animation du monument, notre fonction première est d’assurer la protection et la sécurité/sûreté des personnes, ainsi que des biens meubles et immeubles. Les collections en font partie, adossées à l’entretien léger courant et au nettoyage quotidien du monument. Vaste programme ! Aujourd’hui, chacune de ces missions s’est professionnalisée, avec un curseur sans cesse en augmentation. Au départ, l’équipe des guides les a toutes assurées, grâce à une formation continue qui nous a permis de prendre de la hauteur dans nombre de domaines. Et notamment dans celui du patrimoine, dont la fibre s’est développée en même temps que celle du service public.

Accélération et formidable bond en avant en 1982 ! Des prémices d’un développement s’annoncent ! Les « surveillants militaires » deviennent « agents de surveillance spécialisée » avec une mission de guide toujours plus accentuée et pointue. Jean Favière, conservateur en chef du Patrimoine, alors directeur des musées de Strasbourg, est chargé par la Caisse nationale des Monuments historiques, propriétaire du château, de l’élaboration d’un projet muséographique, malheureusement ajourné ensuite ! Les premières formations continues voient le jour au milieu des années 1980. Puis elles montent en puissance.

1990 ! Nomination d’une administratrice-directrice consacrée uniquement au château ; une première depuis près d’un siècle. Une autre chance, Monique Fuchs est également conservatrice de musée. Sous sa houlette, les connaissances, les recherches, les publications, la constitution d’une documentation – alors inexistante au Haut-Koenigsbourg –, le développement de l’animation du château et de l’éventail des visites, le récolement, l’inventaire et la conservation des collections, l’ouverture et l’appel aux scientifiques font un formidable bond en avant. D’autres axes jusqu’alors inexistants apparaissent. Le développement des publics, l’accueil des scolaires, des projets évènementiels, la communication, l’accueil des publics en situation de handicap voient le jour et se mettent sur les rails. Ils n’ont cessé de progresser depuis, en intégrant notamment les nouvelles données connues pour le site. Les bases ont été posées pour que nous puissions perpétuer de manière démultipliée, dix ans plus tard, au départ de Monique Fuchs, notre engagement, notre sensibilité à ce patrimoine.

7-Tu as assuré la responsabilité d’une équipe importante ?

Depuis 2012, j’avais accepté de prendre la responsabilité de l’Unité des guides et cela jusqu’à mon départ en retraite le 1er janvier 2023. Avant le COVID, j’encadrais douze guides à l’année, ainsi qu’une dizaine de guides saisonniers, sur des contrats de deux à six mois pour des missions de médiation, mais aussi de sécurité et sûreté, sans oublier les trois collègues à l’accueil.
En 2020 : avec le COVID, confinement, déconfinement partiel puis total, re-confinement, passe-sanitaire, jauge fluctuante de visiteurs par groupes ; encadrement d’une équipe à distance avec une nouveauté : la médiation, également à distance !
En 2021-2022 : naissance de la Collectivité européenne d’Alsace, qui va être source de nouveaux questionnements et d’ajustements et la mise en place opérationnelle progressive sur le terrain de la nouvelle feuille de route.

8-Comment a évolué l’accueil des visiteurs durant toutes ces années ?

À mon arrivée, les visiteurs étaient surtout demandeurs d’informations, de connaissances, mais sans grande exigence. Néanmoins j’avais ressenti de la part du public une certaine envie d’en savoir plus sur le « pourquoi du comment » ! Comprendre le sens qu’avait le monument et découvrir le quotidien de sa vie passée. Ainsi, tout doucement, s’est opéré un glissement des visites descriptives aux visites explicatives. Bientôt, ces dernières ont montré leurs limites auprès des visiteurs et la tendance a été de proposer des visites avec une dimension plus évocatrice, plus interactive, plus onirique, et aussi une proposition à aller plus loin dans la compréhension des lieux visités.

Les exigences des publics sont aussi montées progressivement en gamme en termes de besoins de services d’accompagnement à leur venue sur le site : possibilités ou non de réservations, informations (horaires, tarifs, dépliants de visite, librairie, boutique, services divers…), médiations proposées, moyens de paiement. Par ailleurs, concurrence des agences de voyages oblige, il a fallu « muscler » et adapter le mieux possible le service de réservation et d’offres. Une nécessité vitale quand on sait que l’éloignement du château est un détour géographique contraignant pour les organisateurs de voyages. Surtout quand l’hébergement hôtelier à proximité est contraint. Pour ma part, cela a été un moment de bascule où le visiteur a perdu progressivement son statut d’usager du service public pour endosser celui de client. Pour conserver l’attractivité du monument et ne pas s’endormir sur nos « lauriers », il a fallu répondre à la diversité des nouvelles demandes : celles des publics étrangers, des visiteurs en situation de handicap, des scolaires, des visiteurs locaux en mal de visites spécifiques ou d’évènements pour redécouvrir le Haut-Koenigsbourg sous un autre angle. Un public de plus en plus internationalisé également !

Par ailleurs, le souhait nouveau d’avoir un retour de son voyage en termes d’expérience, d’émerveillement, de dépaysement et d’acquisition de connaissances a nécessité de varier l’offre. La capacité d’un monument à faire venir ou revenir le visiteur, en étant en cohérence avec le territoire, est allée crescendo. Le visiteur souhaite, de plus en plus, être acteur de son expérience culturelle, touristique. L’interaction dans la médiation est donc une plus-value pour une prestation réussie.

9-Quelle adaptation à ces changements pour l’équipe ?

Une adaptation permanente et sans cesse renouvelée. Entre aspiration des publics, choix politiques et donc moyens alloués, mise à niveau individuelle et collective et les réalités du terrain, il y a une certaine inertie temporelle. La professionnalisation des missions, notamment de la médiation, s’est faite par des formations, en interne ou externe, avec des services dédiés créés ou développés. Cependant, la polyvalence des guides n’a pas permis de se lancer à corps perdu dans la médiation. La gestion de la sécurité-sûreté dans un ERP (établissement recevant du public) à très grande fréquentation a pris une grande place et une professionnalisation dans leurs missions s’est accentuée, année après année, au rythme de la réglementation. Ainsi, un PC de sécurité, avec ses centrales incendie et anti-intrusion, a vu le jour. Il a été tenu surtout par les guides qui ont acquis, également, de nombreuses qualifications en ce domaine.

La période des travaux de mise aux normes techniques dans l’ensemble du château, entre 2010 et 2016, a été difficile à gérer pour toute l’équipe, d’autant plus que les visites ont été maintenues. La gestion des risques et la surveillance des travaux ont mobilisé une importante énergie et ce n’est que grâce à une solide « culture d’entreprise » que l’équipe a pu fonctionner malgré des conditions de travail très dégradées.

Par ailleurs, l’attractivité du Haut-Koenigsbourg pour le personnel n’est toujours pas des plus grandes : éloignement des centres urbains, conditions d’accès difficiles en hiver, topographie « sportive » du monument, conditions climatiques souvent rudes, horaires et saisonnalités variables pour s’adapter à la demande des publics amènent les personnels saisonniers à temps partiel, ou permanents, à peser leur décision avant de mener la « vie de château ». Les deux confinements, 2020 et 2021, imposés par le COVID ont révélé et renforcé l’importance de la médiation à distance et de l’usage des réseaux sociaux. Ainsi, les guides ont été dotés d’ordinateurs professionnels pour se familiariser et développer ce type de médiation à distance. De plus, l’externalisation du nettoyage et de la sécurité-sûreté a commencé à se mettre en place au moment de mon départ. Cela permettra, sans doute aux guides-animateurs de se recentrer sur leur cœur de métier et de développer et de diversifier leurs outils de médiation.

10-Comment a été vécu le transfert du château de l’État au Département ?

Depuis 2003, se profilait le projet de transfert du monument, appartenant à l’État depuis 1919, vers les collectivités territoriales. Suspendu aux discussions de l’époque au sein de la « Commission Rémond », le Haut-Koenigsbourg est finalement transféré, suite à l’arbitrage politique du Ministre de la Culture, le 1er janvier 2007, au Conseil Général du Bas-Rhin, malgré l’incontestable dimension nationale du monument.

Le transfert a été vécu de manière très mitigée et très partagée selon les missions de chacun et chacune. Dans le domaine de la médiation, nous nous sommes retrouvés un peu orphelins. Autant, avant le transfert, les formations étaient bâties et calibrées pour tous les agents et guides de 50 monuments de l’État en France et en Navarre, autant au sein de la collectivité alsacienne, le Haut-Koenigsbourg était le seul établissement touristique de la collectivité. Les formations adaptées à notre cœur de métier sont donc devenues très rares. Cela a complexifié aussi la gestion administrative des week-ends, jours fériés, horaires lissés sur l’année, contrats des personnels suppléants lors des vacances scolaires saupoudrés sur l’année. Les problématiques spécifiques de ce monument ouvert 7 jours/7 et sous surveillance 24h/24h ont plongé bon nombre de gestionnaires dans l’embarras.

De plus, une « filière castrale » a été créée en 2021-2022, dont le château est devenu le « fer de lance », avec un patrimoine alsacien recensé de près de 550 châteaux et sites. Ne faudrait-il pas plutôt parler de « mosaïque castrale » tant les singularités sont plurielles ? Cette formulation, en forme d’oxymore, est issue des travaux collectifs menés en 2019-2020, sous la houlette de l’Académie d’Alsace. On ne peut que souhaiter que cette « filière castrale » se donne des moyens volontaristes pour, qu’entre autres, les connaissances encore lacunaires en bien des domaines soient comblées. Le défi des années à venir sera d’assurer une adéquation harmonieuse entre la préservation/conservation et la présentation de ces monuments et de leurs milieux naturels au profit des randonneurs et des amoureux des châteaux. Espérons que les chemins forestiers ne se refermeront pas les uns après les autres comme cela est arrivé récemment près de Masevaux.

11-Tu insistes beaucoup sur le fait que la science est « un des piliers de l’attractivité et de la compréhension du site » ?
Concomitamment au transfert, la création d’une commission scientifique, a permis à toute l’équipe des guides du château, avec l’appui des directeurs successifs, Jean-Florent Filtz, Laurent Schmitt et Bruno Caro, de mener plusieurs projets ambitieux. Notamment, de poser des bases de réflexions nouvelles (dont un projet de monument, parfois revisité), de faire des propositions, de faciliter l’accès aux chercheurs, de relancer les sujets en rapport avec la conservation du mobilier et des collections. Tout cela, en continuant à assurer au quotidien l’entretien léger (dépoussiérage, surveillance sanitaire) et le suivi des collections, les recherches, les réponses aux internautes, les expositions hors et dans les murs, les visites particulières, la communication, les pistes de réflexion sur la gestion des réserves. Avec parfois de belles découvertes, comme celle de la bannière impériale ! N’oublions pas les inventaires à continuer et les demandes des scientifiques pour les divers sujets de recherche, menés dans le cadre de la commission scientifique, en leur facilitant l’accès au site et en leur transmettant aussi les connaissances acquises au fil des années dans mon métier. Tel a été le cas pour la publication des « Cahiers du Haut Koenigsbourg », dont quatre ont paru à ce jour sous la plume de Bernadette Schnitzler et de René Kill, auxquels il faut associer également, pour leurs actions de formation, leurs interventions et leurs publications sur le Haut-Koenigsbourg, entre autres, Jacky Koch, Florent Fritsch, Monique Fuchs, Bernhard Metz, Jean-Michel Rudrauf, Georges Bischoff, Jean-Jacques Schwien, Thomas Biller, ainsi que (il y a très longtemps) Jean-Claude Daul et Jean Favière, parmi les plus fidèles.

La « nécessité scientifique » reste le terreau de développement des connaissances et de conservation de ce monument et de ses « trésors » et le gage d’une attractivité renouvelée. Ainsi la connaissance castrale européenne, de France et de Centre Alsace, avec des châteaux remarquables autour du Haut-Koenigsbourg, devra se poursuivre pour sortir la période médiévale d’un simple cliché et faire émerger les singularités de chacun de ces monuments.

12-Tu as sûrement dû avoir l’opportunité de faire quelques belles rencontres ?
Les contacts avec la commune d’Orschwiller, sur laquelle est implanté le Haut-Koenigsbourg, ont été excellents. Il faut dire que le premier magistrat de cette cité a œuvré au château quelques années pour développer l’accueil des scolaires. Sa compréhension du fonctionnement du site a été d’une grande facilitation dans bien des domaines.

Je pense aussi à certains anciens qui ont marqué l’histoire de ce monument par leur approche du métier et leur savoir-être. Notamment le seul régisseur que j’ai connu, M. Delporte, puis les directeurs successifs, notamment Monique Fuchs, Laurent Schmitt et Bruno Caro, qui m’ont impressionné par leur implication. Bon nombre de collègues de travail, permanents ou saisonniers et vacataires m’ont aussi beaucoup apporté. Notamment le plaisir, souvent un luxe professionnel, de monter « là-haut sur la montagne » ! Ces collègues continuent à faire vivre le monument ; ils sont devenus, à leur tour, détenteurs d’une mémoire du château, nécessaire à la compréhension de son fonctionnement, et ont forcé mon admiration par leur approche du service aux publics et de la solidarité humaine. Il est vrai qu’en 42 ans d’activité certaines rencontres ont parfois aussi été de courtes durées, souvent le temps d’une saison… et puis s’en vont. Le temps certes, mais le nombre et la rapidité des rencontres saisons après saisons, près de 200 guides formés et je pense plus de mille personnes intervenantes au Haut-Koenigsbourg, hors public, côtoyées depuis mes débuts à l’État jusqu’à la CeA, tendent à lisser quelque peu les souvenirs.

En plus des superbes rencontres avec le milieu scientifique, je ne peux passer sous silence d’autres contacts tous azimuts. Notamment et surtout les collègues et des partenaires de ce site isolé qui ont partagé la « vie de château » dans sa version dure et non idéalisée, et aussi les collègues d’autres monuments (Mont Saint-Michel, Le Thoronet, Chambord, Carcassonne, Azay-le-Rideau, Saint-Denis…). Cette polyvalence, même si elle ne doit pas être poussée à l’extrême, procède d’une ouverture d’esprit et d’une culture de la transversalité. Elle a donné du sens à mes missions et m’a permis d’évoluer et de grandir, tant professionnellement qu’humainement.

Bref, autant de regards sur un métier aux multiples facettes, entre culture et tourisme. Ces angles d’attaque m’ont permis de naviguer de l’entretien à la conservation, en passant par la médiation tout en abordant des compétences de pompier, d’agent de sûreté, de secouriste, en développant également des missions d’encadrant, de guide, de conférencier, de formateur. Pour résumer : un panel de spécialités qui permet de comprendre que la présentation d’un site comme le Haut-Koenigsbourg, qui comprend aussi près de 5 ha de forêt et les vestiges voisins de la ruine castrale de l’Oedenbourg, passe par une vision d’ensemble qui doit être large et cohérente. Et c’est la satisfaction des publics qui en est la récompense si tout cela est bien coordonné !

13-Quelle perception as-tu de ce château que tu viens de quitter après tant d’années ?
Au-delà d’un bilan purement comptable, un équilibre et une harmonie restent en permanence à construire entre :
Le but d’un établissement culturel ET celui d’un site touristique,
La préservation des lieux, de ses collections ET la présentation au plus grand nombre,
Les obligations sécuritaires, de sûreté ET le fait de procurer un vrai plaisir de la découverte,
Des visions idéalisées du monument ET la mise en application de son fonctionnement au quotidien,
La compréhension des particularités d’un site isolé, spécifique, ET la transposition de recettes toutes faites,
L’externalisation OU la gestion en régie ? Un débat qui doit être argumenté par la connaissance transversale et pérenne indispensable du lieu,
« Ciel ET terre », où la dureté du lieu est compensée par sa force de rêverie qu’il ouvre sur le monde et l’histoire.

14-Si ce château devait être une personne, qui serait-il ?
Si le Haut-Koenigsbourg devait être une personne, il serait un être attachant et aussi très exigeant ! D’où la nécessité de travailler en équipe solidaire. Un travail rude, comme le climat, comme la topographie montagnarde et monumentale ou comme l’exigence des publics et surtout leurs « ruées », à de nombreux moments de l’année… Mais une fois ces contraintes reléguées, le Haut-Koenigsbourg reste un endroit fabuleux où, avec un peu d’imagination, on peut se laisser surprendre, surtout en hiver lors des inversions de températures, à appareiller avec ce vaisseau amiral sur une mer de nuages vers des destinations lointaines rêvées par chacun et chacune. Un monument tellement connu et pourtant si peu connu !

Mais elle serait aussi (restons sur le genre féminin : die Burg) impressionnante et déstabilisante au tout premier contact, difficile à comprendre et gardant toujours une part de mystère, captivante à la limite du possessif, exigeante, au point d’entrainer les familles dans son sillage, parfois idéalisée, et surtout, qui se mérite !