Acteurs du patrimoine

Séara Frédéric

Propos reccueillis par Jean-Jacques Schwien

Frédéric Séara (49 ans) est depuis un an le nouveau conservateur du Service régional de l'archéologie en Alsace (SRA). De ce fait, avec les membres de son service, il a la charge de tous les types de dossiers qui relèvent de la réglementation archéologique : prospections, fouilles, études de bâti, projets de recherches... Avec les autres services patrimoniaux, il assure la conservation, l'entretien et la valorisation des éléments découverts (structures et mobiliers). Dans ce cadre, il est en contact étroit avec le monde associatif régional, tant par les activités archéologiques que ces associations dirigent que par les réflexions qu'elles suscitent sur le devenir du patrimoine. Notre Société, par exemple, est en partenariat étroit avec le SRA par le biais de la Commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS) pour la protection et valorisation des immeubles anciens ; elle informe également le service sur des découvertes fortuites, des projets de diverse nature ; elle participe à la publication des recherches réalisées par le biais de notre revue, les Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire.

D'où vous vient votre passion pour le patrimoine ?

La découverte de l'archéologie est liée à mes séjours, enfant, chez des membres de ma famille en Mauritanie.
Notre loisir était alors "d'aller aux pointes de flèches", c'est à dire d'aller ramasser des silex taillés qui traînaient un peu partout en surface dans ces territoires semi désertiques. Je n'ai donc aucun antécédent familial dans cette dynamique de recherche -mes parents exerçaient des activités tout autre.
C'est donc un concours de circonstance qui m'a amené à m'intéresser à ces silex qui, ensuite, feront l'objet de l'essentiel de mes pérégrinations archéologiques personnelles.

Quel a été votre parcours de formation et votre parcours professionnel ?

Mon parcours de formation a été des plus classiques, avec des études secondaires puis une licence d'histoire de l'art et d'archéologie à Besançon. Une maitrise puis un DEA, soutenus à Besançon également en 1990, m'ont permis de m'initier à l'étude des silex, avec un sujet sur "la technologie lithique magdalénienne".

J'ai eu le plaisir, en effet, de travailler sous la direction d'André Thévenin, que les Alsaciens connaissent bien, puisqu'il a été longtemps directeur de la circonscription de l'archéologie, pour la Préhistoire, en Alsace. Sans avoir été partie prenante dans le monde associatif de l'époque, ces années ont toutefois été consacrées à ce qu'on appellerait de l'archéologie bénévole, tous mes loisirs étant consacrés à la prospection dans la vallée de la Saône.

Ce premier diplôme m'a permis d'entrer dans le monde professionnel de l'archéologie, ces années étant marquées par le développement de l'archéologie préventive.
J'ai été chargé d'étude puis ingénieur à l'AFAN (Association pour les fouilles archéologiques nationales) entre 1989 et 2001 et, à ce titre, j'ai eu de nombreuses responsabilités de fouilles préventives, en Franche-Comté, dans le Cantal, dans le Nord de la France. Pour moi, en effet, j'allais là où s'ouvraient les chantiers de ma spécialité, sans me soucier d'une identification à mon seul territoire d'origine. J'ai fait des choses passionnantes, comme par exemple, la première fouille d'un habitat de plein air de l'époque mésolithique, alors que cette période n'avait jusque là été reconnue que dans les grottes. La publication de ce site (Ruffey/Seille, dans le cadre de la construction de l'autoroute A39) reste aujourd'hui une référence.

En 2001, lors de la création de l'INRAP, j'ai été d'emblée nommé AST (Adjoint scientifique et technique) pour la totalité du Grand Est (Alsace, Bourgogne et Franche-Comté), une charge éprouvante puisqu'il s'agissait de coordonner toutes les opérations d’archéologie préventive de ce territoire.
L'équipe n'a été que progressivement étoffée pour ces missions, au final avec une personne responsable par région. Ces années ont été difficiles -il fallait inventer le métier et avaler des kilomètres -, mais elles m'ont formé à la gestion des hommes, des situations et sur des champs chronologiques très divers.

J'ai pu, à un moment, me libérer d'une partie des contraintes, pour préparer une thèse sur "l'organisation spatiale des campements de plein air mésolitiques", soutenue en 2008 à Dijon, sous la direction de Claude Mordant.

Que pensez-vous que votre action apporte au patrimoine régional ? Quel sens lui donnez-vous ? Quels sont les principes qui vous guident ?

J'ai été nommé conservateur du SRA fin 2013 et connaissais déjà un peu la région, de par mes fonctions précédentes comme AST à l'INRAP. Mais de fait, je n'ai découvert vraiment l'Alsace que depuis cette nomination.

Cette année de présence représente un trop court temps pour pouvoir déjà me prévaloir d'actions significatives, au-delà du travail courant de ma fonction. J'ai toutefois déjà pu cerner certains aspects spécifiques de cette région et réfléchir à des orientations à éventuellement imprimer.

Il m'apparaît que les archéologues alsaciens sont aujourd'hui bien intégrés au réseau des chercheurs de "la France de l'intérieur", contrairement à il y a 20 ou 30 ans. Mais curieusement, dans cette région qui se prévaut aussi de la spécificité de sa culture germanique, les relations avec les voisins d'outre Rhin ou de Suisse du nord ne sont pas aussi fréquentes que cela.

Des initiatives récentes vont dans le bon sens, comme les journées archéologiques transfrontalières du Rhin supérieur, dont la seconde manifestation vient de se tenir à Offenbourg, ou les rencontres entre fédérations d'associations des trois "pays", initiée par la Fédération des Sociétés d'Histoire d'Alsace. De ce point de vue, l'initiative de la carte archéologique du Rhin supérieur (ArkéoGis), pilotée par Loup Bernard à l'Université, parait de même excellente.

Mais la barrière de la langue, même pour les Alsaciens, m'apparaît comme un frein important pour ces prises de contact. Il me semble qu'une solution serait de faire travailler ensemble les chercheurs des deux régions par le biais de chantiers communs. Il serait opportun, par exemple, d'ouvrir un chantier-école archéologique transfrontalier.

Par ailleurs, le nouveau milieu dans lequel je travaille me plaît beaucoup, de par le caractère transversal des activités. L'archéologie est ici intégrée dans un ensemble de projets et décisions qui réunissent beaucoup de compétences, les Monuments Historiques, les services départementaux d'architecture, les élus. L'Alsace dispose de ce point de vue d'un formidable ensemble d'associations, beaucoup plus nombreuses que dans la région d'où je viens, et qui sont très dynamiques.

Pour ma part, alors que je vois qu'ailleurs on se méfie parfois des initiatives des bénévoles, j'entends m'appuyer sur ce réseau associatif pour aider et développer le rapport des gens à leur patrimoine. Mon apport dans ce cadre pourrait aider à fédérer les initiatives et à accompagner leur besoin d'encadrement, souhait exprimé par certaines associations.

Frédéric Séara