Metz Bernhard
Tout le monde connait Bernhard Metz (68 ans). Il est connu pour son érudition dans le domaine du Moyen Âge, pour sa mémoire infaillible des cotes d’archives en Alsace et ailleurs, adossée à un fichier qui en fait rêver plus d'un. C’est notre référence incontournable pour les châteaux, les fortifications urbaines, les villes en général, les églises et abbayes, les villages même les plus reculés ou disparus. Il est connu aussi pour sa grande rigueur intellectuelle. Loin de tout esprit de mandarinat, cette rigueur profite à son entourage intellectuel : qui d’entre nous n’a pas bénéficié de ses relectures annotées de nos projets d’articles ou, mieux, des petits papiers qu’il distribue avec des mentions et informations trouvées aux archives sur nos centres d’intérêt ? À l’opposé, on est toujours un peu inquiet de ses comptes rendus de lecture qui pointent nos lacunes et approximations. Mais ses remarques, il faut le souligner, sont toujours constructives, sauf pour ceux qui ne respectent pas la déontologie des pratiques de recherches, en termes de mentions des sources et ressources ou, plus grave, d’interprétation orientée des données. Cette rigueur n’est pas dénuée d’humour et d’éclectisme : il suffit de lire les longues lettres envoyées chaque lundi matin au service régional de l’archéologie, du temps de ses prospections à vélo, où il relatait pêle-mêle et en termes crus les découvertes de vestiges médiévaux et de délicieuses fraises des bois. On sait moins toutefois que cette érudition et rigueur s’appuie sur des choix de vie que peu d’entre nous auraient fait, soit avoir un travail à mi-temps pour consacrer le reste à la recherche. Ce qui suppose une vie frugale, voire monacale : les plus anciens du séminaire du samedi matin de Francis Rapp doivent se souvenir de son arrivée en cours avec le cabas des courses au marché d’où dépassaient les poireaux et carottes pour ses repas de la semaine. Beaucoup seront encore plus surpris par le fait qu’il ait appris l’allemand sur le tard, alors qu’il est aussi notre référence pour cette langue, les concepts venant d’ailleurs toujours plus facilement en allemand qu’en français dans ses discussions : nous en avons retenu quelques-uns dans son portrait ci-dessous. Plus secret encore est son goût pour la musique ancienne et si, parfois, on l’entend fredonner, peu d’entre nous ont entendu en concert sa belle voix de ténor. Bref, Bernhard Metz est un chercheur discret sur lui-même mais qui, à de nombreux égards, nous sert de guide intellectuel pour ses connaissances et pratiques en recherches médiévales.
Mon côté « châteaux » me vient de mes parents. Les vieilles pierres ont de tout temps été une valeur pour eux. Issus d’une famille d’instituteurs ruraux ayant étudié la « Altphilologie » (les lettres classiques) à Strasbourg, ils ont peu voyagé, même à partir du moment où ils ont eu une voiture ; mais nous avions eu successivement deux maisons de campagne, d’abord à Turckheim chez ma grand-mère, l’autre achetée en 1960 dans la vallée de Sainte-Marie-auxMines, où nous passions week-ends et vacances.
De Turckheim, nos promenades dominicales nous menaient régulièrement au château de Pflixburg. De Rombach, j'allais de temps en temps à Frankenburg.Avec ma première mobylette puis une 2CV, j’ai pu par la suite étendre progressivement mon rayon d’action et partir à la découverte de plus en plus de châteaux de la région.
Plus tard, j’ai eu des Ami 8 break, qui me permettaient d’emporter facilement mon vélo dont je me servais pour explorer lentement mais sûrement les paysages de l’Alsace médiévale. Mon intérêt pour les cimetières fortifiés vient en partie de ces balades à vélo, puisque les cimetières étaient souvent le seul lieu où l’on trouvait un robinet avec de l’eau potable…
Mon côté historien me vient précisément de la lecture, à l’âge de 12 ans, de la Première Décade de Tite-Live (édition Budé), un livre que j’ai trouvé dans la bibliothèque de mon père. J’y ai pris au premier degré des récits sur les 7 rois de Rome, dont j’ai appris plus tard qu’ils étaient entièrement fictifs.
Mais surtout, l’érudition dont j’ai pu faire état dans ma classe m’ont donné un « statut » d’historien, une sorte de rôle ou de réputation que j’ai eu ensuite à défendre ! Dès lors, et longtemps, j’ai pensé vouloir devenir professeur.
Après mon bac, je me suis engagé en classe prépa littéraire à Strasbourg (khâgne) pour ensuite entrer à Normale Sup. J’y ai soutenu un mémoire de maîtrise sur le Liber de diversisordinibus et professionnibusquaesunt in ecclesia, un commentaire sur la réforme de l’Eglise au XIIe siècle, sous la direction de Jacques Le Goff, avant de me lancer dans une thèse – jamais terminée – portant sur le De vitavereapostolica attribué à Honorius Augustodunensis, un traité polémique sur les moines et chanoines réguliers de la première moitié du XIIe siècle.
Ayant besoin de savoir l’allemand pour poursuivre mes recherches, j’ai sollicité une bourse d’un an pour l’étudier à Fribourg-en-Brisgau. J’y suis en réalité resté 6 ans, jusqu'en 1978, occupant la chambre d’étudiant la moins chère de la ville ! J’ai peu profité des séminaires, pour surtout passer mon temps à la bibliothèque, souvent jusqu’à la fermeture, vers 22h. C’est là que j’ai vraiment pris plaisir aux études, oubliant même parfois de manger... : au contraire d’aujourd’hui, je pouvais me payer le luxe de m’intéresser à tout. C’est vers la fin de cette période que je me suis inscrit en thèse à Strasbourg, sous la direction de Francis Rapp, avec d’abord comme sujet les cimetières fortifiés, puis le rapport entre ministérialité et châteaux. Le jour où les frais d’inscription sont devenus trop chers pour moi, alors que visiblement je voyais que je n’en arriverais pas au bout, j’ai abandonné. De retour en Alsace, j’ai eu comme premier poste celui de conservateur adjoint aux archives, bibliothèque et musées de Haguenau.
La ville m’avait engagé un an avant le départ à la retraite d’André-Marcel Burg, le conservateur en titre, pour qu’il me mette au courant avant que je lui succède. Mais les choses s’étant mal passées avec lui et surtout avec le maire, j’ai été renvoyé au bout d’un an et demi, au cours desquels je ne me suis pratiquement occupé que du musée historique.
Après sept mois de chômage, j’ai obtenu un poste aux archives municipales de Strasbourg grâce à l’obligeance de François-Joseph Fuchs.
J’y suis resté 32 ans, soit toute ma carrière. De fait et à ma demande, je n’y exerçais qu’à mi-temps, pour pouvoir consacrer le reste à mes recherches personnelles. Au cours de ces années, j’ai été préposé à l’inventaire des fonds anciens, d’abord la série IV, tome 2, avec des archives des XVIe-XVIIIe siècles, ce qui m’a obligé à me familiariser avec la paléographie de cette période.
Par la suite, je me suis penché sur le fonds Mullenheim et surtout les 11000 chartes municipales, ce qui m’a évidemment engagé plus avant dans l’histoire du Moyen Âge. J’ai quitté le service sans avoir pu venir à bout de ce dernier inventaire.
Tout au long de ces années, j’ai aussi donné des cours de paléographie allemande aux érudits et généalogistes, d’abord à Strasbourg, aux archives départementales puis municipales, et bientôt aussi aux archives départementales du Haut-Rhin.
Il me semble que mon rôle régional se caractérise par deux dynamiques, l’une aujourd’hui éteinte, l’autre toujours active.
La première est mon activité à cheval sur l’histoire et l’archéologie. Outre l’étude des textes, j’ai eu une (modeste) activité de fouilles.
J’ai été membre de l’Opération Taupe entre 1967 et 1971, avant d’organiser des travaux au château du Birkenfels entre 1973 et 1980, avec une association créée spécifiquement. Vers la même époque, ayant appris par Thomas Biller ce qu’était la Baugeschichte (archéologie du bâti), j’ai tenté de la pratiquer à Frankenburg, objet bien trop complexe pour un débutant ; par la suite, j’ai été de la plupart des recherches archéologiques du CRAMS (Hoh-Barr, Daubenschlag, Wangenbourg...).
Mais surtout, mes connaissances dans le domaine des archives m’ont conduit à assurer les recherches historiques sur ces sites, pour éclairer et compléter les résultats archéologiques ; en retour, j’ai beaucoup appris par ces fouilles sur l’histoire, à partir des vestiges matériels. Dans ma bibliographie, au total, une bonne part de mes articles est le reflet de cette collaboration.
Si aujourd’hui, il m’arrive encore d’être sollicité ponctuellement dans le cadre de problématiques archéologiques (et d’ailleurs plutôt sur des sites du haut Moyen Âge comme Marlenheim ou Sermersheim), les modalités de la recherche depuis l’essor de l’archéologie préventive ont fondamentalement changé ; et d’ailleurs, il ne se fait plus guère de fouilles dans les châteaux alsaciens.
Ma seconde spécificité est de faire le lien entre l’Alsace et les recherches allemandes. Plus précisément, je suis sollicité par les archéologues français dans le cadre de colloques et publications en tant que spécialiste de l’Alsace ; à l'inverse, c’est avant tout comme historien que me connaissent les collègues allemands. C’est dans ce cadre qu’il faut placer mon étroite collaboration avec Thomas Biller, un architecte et historien d’art berlinois, rencontré en 1975 et avec qui j’ai beaucoup publié.
Par ailleurs, tout en étant sympathisant de nombreuses associations régionales, je ne suis plus guère impliqué dans des organisations spécifiques. Dans ma jeunesse, j’ai été membre comme dit de l’Opération Taupe/Chantiers d'Etudes Médiévales, que comme bien d’autres j’ai quittée en raison du fonctionnement autocratique de Ch.-L. Salch. Ensuite, j’ai participé à la fondation de l’ASAM, à ses travaux de consolidation et de fouille à Birkenfels et à son bulletin, où j’ai publié mes premiers articles sur les châteaux.
Par après, j’ai été un membre assidu du GAMA, le groupe d’archéologie médiévale d’Alsace, initié par Joëlle Burnouf sur des principes de collaboration à niveau égal entre les acteurs régionaux, et qui fonctionnait comme un réseau d’information et de publication.
Aujourd’hui, je collabore encore avec le CRAMS, le centre de recherches archéologiques médiévales de Saverne, ou aux Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire de la SCMHA, en tant que membre du comité de lecture.
Je n’ai que peu participé aux débats patrimoniaux de toutes ces années. Mais je m’étais fortement impliqué dans l’opposition au projet dit des châteaux-hôtels, initié en 1989 par la DRAC. Je ne pouvais accepter la privatisation des plus belles ruines d’Alsace, soit le Birkenfels, le Spesbourg, le Bernstein, le Saint-Ulrich et l’Ortenbourg, au profit d’une clientèle privilégiée, même au nom de la préservation du patrimoine.
Dans cette affaire, il est apparu une sorte de fracture entre des opposants fermes comme Alsace Nature, la Société d’Histoire du Val de Villé, le CRAMS, et des partisans trop enclins au compromis comme le Club vosgien, la Fédération des Sociétés d’histoire et même la SCMHA. Bien que le projet ait été abandonné en partie grâce à ces débats, j’ai perdu dès lors toute illusion sur le milieu historique associatif en Alsace.
Au total, je me retrouve aujourd’hui plus historien qu’archéologue, du fait d’un mal de dos qui m’empêche depuis bientôt 25 ans de fouiller, de l’arrêt du Groupe d’archéologie médiévale (fin des années 1990) et des changements importants dans l’organisation de la discipline, en particulier la professionnalisation de l’archéologie.
Mais j’ai aussi vécu ces dernières années des changements dans mes recherches propres : avec l’âge qui avance, j’ai dû faire des choix de travail ; j’essaie ainsi de me concentrer sur ce qui me semble le plus important, comme la publication des derniers tomes de Burgen des Elsaß, avec Thomas Biller ; j’ai arrêté pour l’instant les notices de l’AlsatiaMunita, dont je sais qu’elles sont attendues par beaucoup de monde.